Version française de: Conceptual tools for a natural science of society and culture. Proceedings of the British Academy 111, 297-317. (2001)
Résumé : Pour aborder la société et la culture d’une manière naturaliste, il faut reconceptualiser le domaine du social en n’y reconnaissant que des entités et des processus dont nous avons une compréhension naturaliste. Il s’agira de représentations mentales et de productions publiques, des processus qui les lient causalement, des chaînes causales qui associent ces liens, et des réseaux complexes de ces chaînes causales qui parcourent en tous sens les populations humaines dans le temps et l’espace. De telles chaînes causales peuvent distribuer et stabiliser des représentations et des productions à travers une population humaine et ainsi engendrer de la culture. Ce texte introduit plusieurs outils conceptuels pour développer cette approche naturaliste et l’illustre par une étude de cas portant sur une activité rituelle dans une maisonnée du sud de l’Éthiopie.
(Traduction de: Sperber, Dan (2001) Conceptual tools for a natural science of society and culture (Radcliffe-Brown Lecture in Social Anthopology 1999). In Proceedings of the British Academy , 111, 297-317, disponible ici.)
QUELQUES OUTILS CONCEPTUELS POUR UNE SCIENCE NATURELLE DE LA SOCIETE ET DE LA CULTURE*
Dan Sperber
Dans son essai ” Sur la structure sociale “, Radcliffe-Brown écrivait :
” L’anthropologie sociale telle que je la conçois est la science naturelle théorique de la société humaine : elle étudie les phénomènes sociaux par des méthodes essentiellement semblables à celles employées dans les sciences physiques ou biologiques. […] Comme vous le savez, des ethnologues ou des anthropologues soutiennent qu’il n’est pas possible, ou tout au moins pas fructueux, d’appliquer aux phénomènes sociaux les méthodes théoriques des sciences naturelles. Pour eux, l’anthropologie sociale telle que je l’ai définie, n’existe pas et n’existera jamais. Pour eux, évidemment, mes remarques n’ont aucun sens, ou tout au moins elles n’ont pas le sens que je leur donne “. (Radcliffe-Brown, 1968, p. 290).
Les sceptiques noteront volontiers que, soixante ans plus tard, aucune science naturelle de la société n’a encore vu le jour. De toute évidence, Radcliffe-Brown sous-estimait les difficultés d’un tel projet. Il se peut cependant, qu’au tournant du millénaire, nous soyons mieux équipés pour aborder les phénomènes sociaux de façon véritablement naturaliste.
Une science est naturelle à la fois par son ontologie et par sa méthode, autrement dit par le type de phénomènes qu’elle reconnaît comme faisant partie du monde, et par la façon dont elle cherche à les expliquer. Quels sont les phénomènes que l’anthropologie a à expliquer et qu’est-ce qui y a valeur d’explication ? L’intérêt pour ces questions est faible, l’accord sur les réponses encore moindre. Cet état de choses présente des avantages, du point de vue du producteur d’explications anthropologiques – presque n’importe quoi fait l’affaire –, mais pas du point de vue du consommateur d’explications – on trouve tout et n’importe quoi.
J’ai proposé que nous ajoutions à nos jeux d’anthropologues, un jeu différent, appelé ” explication causale naturaliste ” (voir Sperber 1996). Son mot d’ordre est : ” Tout ce qui a un pouvoir causal l’a en vertu de ses propriétés matérielles “. Ce jeu a pour première règle : ” Ne reconnaissez pas un phénomène tant que votre compréhension de son existence matérielle est insuffisante pour lui attribuer des pouvoirs causaux”. La seconde règle est : ” N’affirmez pas l’existence d’un rapport de cause à effet tant que vous ne pouvez pas l’appuyer sur la description d’un mécanisme, description qui doit être suffisamment fine pour qu’il soit raisonnable de demander aux sciences naturelles voisines d’en combler les parties manquantes “. Ce jeu se joue dans des champs qui devraient être familiers aux anthropologues tels que la biologie, l’écologie ou la géomorphologie. (Ne cherchez cependant pas votre modèle dans la physique théorique : le jeu qui s’y joue est très différent).
Il est courant en anthropologie de penser que les phénomènes socioculturels à décrire et à expliquer sont des macrophénomènes – la parenté, l’État, le capitalisme, le pouvoir, la religion, l’idéologie, etc. –qu’on peut expliquer en termes de leurs relations mutuelles à l’intérieur d’une ” structure sociale “. De telles explications ne sont pas naturalistes et généralement ne prétendent pas l’être. (Radcliffe-Brown, qui aspirait à une science naturelle tout en acceptant une grande part de l’ontologie non naturelle des sciences sociales, faisait exception). D’un point de vue naturaliste, nous devons soit nous passer de telles macro-entités, soit les analyser comme des articulations de microphénomènes. Pour reconceptualiser notre domaine, nous pouvons nous inspirer d’une science qui est à la fois sociale et naturelle : l’épidémiologie médicale. En épidémiologie, les macrophénomènes sociaux, telles les endémies et les épidémies, s’analysent comme des articulations de microphénomènes de pathologie individuelle et de transmission interindividuelle. Dans cette conférence, j’aimerais caractériser quelques-uns des outils conceptuels de base qui pourraient servir à développer une approche naturaliste des phénomènes sociaux et culturels, à développer, en d’autres termes, une ” épidémiologie des représentations “.
Afin de faire entrevoir comment une telle reconceptualisation pourrait aussi être pertinente pour une perspective plus traditionnelle en anthropologie, j’introduis un exemple ethnographique tiré de mon travail de terrain chez les Dorzé d’Éthiopie méridionale.
Parmi les multiples façons d’expliquer le malheur et d’y faire face, deux types de cas méritent une attention spéciale, à la fois pour leur omniprésence et pour leur importance socioculturelle : l’agression mystique ou sorcellerie, et les sanctions mystiques résultant de la transgression de tabous. Dans les deux cas, le malheur est vu comme provoqué au départ par un agent humain. Dans le cas de l’agression mystique, le coupable et la victime sont des individus (ou des groupes) distincts et même ennemis. Dans le cas de la transgression de tabous, le coupable et la victime sont un seul et même individu (ou groupe). Plusieurs sociétés privilégient un type d’explication par rapport à l’autre, tout en reconnaissant à la fois l’agression mystique et la transgression de tabous comme explications possibles du malheur. Cette différence dans l’attribution de responsabilités est riche en implications morales et sociales. Par exemple, dans une société où l’explication par la sorcellerie est privilégiée, l’enrichissement personnel risque d’être considéré comme un indice de culpabilité et par conséquent d’être découragé, tandis que dans une société où l’explication par des tabous est privilégiée, l’enrichissement sera souvent considéré comme une preuve de valeur morale et sera donc encouragé.
Les Zandé offrent le cas paradigmatique d’une société où l’agression mystique est l’explication préférée du malheur (Evans-Pritchard, 1937). Quand je les ai étudié il y a quelques trente ans, les Dorzé préféraient très nettement les explications en termes de transgression. Quand un malheur arrivait, un Dorzé se demandait, comme une question allant de soi : ” De quel gomé vient ce malheur ? ” Le terme gomé dénote à la fois l’acte de transgression et la sanction mystique qui en résulte.
Un Dorzé adulte pouvait énumérer des centaines de règles dont la transgression était gomé. Voici quelques exemples de gomé : laisser tomber une goutte de sang humain dans la nourriture, cuisiner sur un feu dans lequel un lézard est mort, se mettre à califourchon sur un chien, tuer un serpent, avoir des rapports sexuels avec un tanneur ou un potier (sauf, bien évidemment pour les tanneurs et les potiers), faire un sacrifice quand son père est encore en vie, ou violer un serment. Il y a tellement de règles que n’importe qui est susceptible d’avoir commis plusieurs transgressions, en connaissance de cause ou à son insu. Cela ne tourmente guère les Dorzé. Le problème de déterminer si une transgression particulière a eu lieu ne se pose que lorsque des devins sont consultés, soit en raison d’un malheur, soit pour vérifier si un sacrifice a réussi.
Seuls les devins sont supposés connaître tous les différents types de gomé, ainsi que toutes les pratiques rituelles qui doivent être suivies pour expier la transgression. Il y a deux grandes catégories de devins. La première catégorie est constituée des entéromanciens qui savent ” lire ” dans les entrailles d’un mouton ou d’une chèvre sacrifié, quelles transgressions ont été commises par l’auteur du sacrifice ou par ceux qui dépendent de lui. Il s’agit là d’une forme de savoir acquis par l’expérience et typiquement détenue par des aînés qui sont eux-mêmes des sacrificateurs. En règle générale, un homme qui vient de sacrifier montrera les entrailles de l’animal à un ou plusieurs aînés du voisinage compétents en entéromancie. La seconde catégorie de devins est constituée de “voyants” qui utilisent une grande variété de techniques, la plus commune étant la géomancie. Les voyants ont un don divinatoire spécial, souvent lié à la possession par un esprit, don qui est plus important que les techniques qu’ils utilisent. Ils peuvent être des hommes ou des femmes, être des membres centraux ou marginaux de la communauté. On consulte volontiers un voyant habitant loin de chez soi. Contrairement aux consultations d’entéromanciens, les consultations de voyants tendent à être une affaire privée et discrète.
On pourrait décrire l’ensemble des représentations et des pratiques impliquant la notion de gomé comme constituant un système culturel et comme un composant majeur de la conception du monde des Dorzé. On pourrait aussi le décrire comme un système de normes qui façonne les relations sociales et contribue à maintenir la cohésion du groupe et les structures de pouvoir. Je ne conteste pas que ces deux types de description macroscopique pourraient être éclairants. Il est clair cependant que ni l’approche culturaliste ni l’approche structurale-fonctionnelle ne seraient naturalistes. Les données ethnographiques peuvent-elles être analysées de façon plus naturaliste, et peuvent-elles fournir des données pertinentes pour une science naturaliste de la société et de la culture ? Pour essayer de répondre, nous devons examiner les données – ou tout au moins, ici, y jeter un coup d’œil rapide – à un niveau beaucoup plus élémentaire et plus concret.
Les idées sur les gomé et les pratiques qui s’y rapportent sont déployées dans des interactions interindividuelles, en particulier dans des consultations de devins et dans des pratiques rituelles. Pour variées qu’elles soient, ces interactions tendent à obéir à un modèle général qui peut être représenté sous la forme d’un diagramme (voir la figure 1). Pour illustrer les différentes séquences possibles dans ce diagramme, j’évoquerai trois chaînes d’événements qui ont eu lieu chez Albazo sur une période de cinq mois (les noms ont été changés ; pour une discussion plus détaillée, cf. Sperber, 1980). La famille d’Albazo faisait partie des quarante familles dont les activités rituelles ont été observées sur une durée de sept mois en 1970-1971 (en collaboration avec Judith Olmstead qui enquêtait sur ces familles de manière plus systématique, et avec son assistant Abesha Alemu – cf. Olmstead, 1974, 1975). Albazo était un tisserand, âgé de trente cinq ans à l’époque. Il avait passé plusieurs années à travailler à Addis Abeba et était revenu depuis un an, à la mort de son père. Il y avait chez lui sa mère Bodé, sa femme Maté ainsi qu’une fille de sa jeune sœur qui aidait aux tâches domestiques. Abaté, le jeune frère d’Albazo, était resté travailler à Addis Abeba. Albazo et Maté étaient sans enfant : ils avaient eu quelques années auparavant un fils mort en bas âge. Albazo était prospère et il aurait pu se sentir tout à fait satisfait de son sort n’était d’une part le fait qu’il était sans enfant, et d’autre part le fait que sa mère ne le reconnaissait pas pleinement comme le chef de la famille et le traitait comme un enfant.
Chaîne d’événements 1 : En septembre 1970, au moment de la fête de Maskal en Éthiopie, Albazo sacrifie un agneau en disant : ” Oh Maskal, toi qui m’as heureusement guidé jusqu’à présent, sois remercié ! “. Il montre les entrailles à trois entéromanciens du voisinage. ” Il y a un gomé des insultes de ta mère “, disent-ils. Albazo reconnaît que sa mère Bodé l’a effectivement insulté, parce qu’il a acheté des vêtements à sa femme et pas à elle. Les entéromanciens lui recommandent de se faire pardonner et de mettre fin au gomé par une libation. Ce qu’il fait. Voici donc un cas de sacrifice occasionné par l’événement heureux du Maskal, qui aboutit à une consultation de devins, à l’identification d’un gomé mineur, et à une offrande pour y mettre fin (Figure 1, chemin e–c–d).
Chaîne d’événements 2 : En octobre 1970, la femme d’Albazo, Maté, qui a mal aux yeux depuis plusieurs jours, va consulter un voyant. Celui-ci, un géomancien, examine ses cailloux et dit : ” Il y a un gomé du miel “. Maté se souvient d’avoir mangé un peu du miel que son mari garde pour ses offrandes. Sur la recommandation du voyant, elle confesse sa faute à son mari qui fait une offrande de miel. Voici un cas de malheur qui aboutit à la consultation d’un voyant et à une offrande. N’y interviennent ni sacrifice ni entéromancie (Figure 1, chemin a–g).
Chaîne d’événements 3 : En janvier 1971, Albazo sacrifie un chevreau à son k’ada ts’ala’e, son ” démon de la bonne chance “, pour découvrir pourquoi, contrairement à ses amis, il est toujours sans enfant. Il montre les entrailles à trois entéromanciens du voisinage. ” Il y a le gomé de la mère qui t’a donné naissance. Elle ne veut pas que tu aies d’enfant, et par rancune, elle t’a maudit. Elle doit demander pardon et te donner un mouton (à sacrifier) “. Bodé confesse qu’elle éprouve effectivement de mauvais sentiments à l’égard de son fils, et lui donne un agneau. Albazo le sacrifie et montre les entrailles aux trois mêmes entéromanciens. Cette fois ils disent : ” il y a le gomé de toi et ta femme. Ton gomé est d’avoir dit ” Que je n’aie pas d’enfant d’elle “, et son gomé est d’avoir dit ” Que je n’ai pas d’enfant de lui “. Réunis les anciens, demande-leur de vous pardonner à tous les deux et fais une offrande de bière ! “. Et ainsi fut fait. Voilà un cas de malheur assez sérieux pour qu’un sacrifice réalisé pour consulter des géomanciens aboutisse à un second sacrifice, puis à une offrande (Figure 1, chemin f–c–h–c–d).
Avant de laisser de côté, pour l’instant, l’histoire d’Albazo, j’en souligne la portée principale pour les personnes concernées. Albazo, sa mère et sa femme traversaient une phase transitoire, après la mort récente du père. La nouvelle position d’Albazo comme chef de maisonnée, son origine, son âge, sa richesse auraient pu contribuer à en faire progressivement un homme de poids dans sa communauté. Cependant, il n’avait pas d’enfant et supportait mal sa mère. Le rôle joué par les devins doit être compris dans ce contexte. Ils ont profité d’un sacrifice pour la fête du Maskal, d’un mal aux yeux de Maté, et d’un sacrifice à visée directement divinatoire pour diminuer les tensions et redéfinir les rôles dans la famille d’Albazo : que le fils soit plus généreux envers sa mère, et que celle-ci reconnaisse son autorité ; que la femme fasse attention aux nouvelles prérogatives de son mari ; que le chef de maisonnée accomplisse sereinement ses nouveaux devoirs. A travers des procédures divinatoires, les anxiétés stériles provoquées par des malheurs sont refocalisées sur des problèmes psychologiques et sociaux gérables.
Ce matériau anthropologique est, bien sûr, d’un type familier. Dans la plupart des cas (avec quelques exceptions notables comme F. Barth, 1975), de telles données d’un niveau micro servent à illustrer une explication formulée au moyen de notions d’un niveau macro. Ce que je veux suggérer, c’est que ce niveau micro est le niveau approprié pour une explication naturaliste. Retour maintenant aux concepts.
Les chaînes causales cognitives
À l’époque de Radcliffe-Brown, les explications naturalistes ne constituaient pas une véritable option en anthropologie, ni, plus généralement, dans les sciences sociales. Pour comprendre pourquoi il en allait ainsi, il faut prendre en considération le rôle des représentations dans l’identification des objets mêmes des sciences sociales. Il est en effet impossible d’identifier la plupart, sinon la totalité, des phénomènes socioculturels sans prendre en considération de façon essentielle les représentations mentales des agents sociaux. Il n’y a, par exemple, aucune perspective théorique à partir de laquelle on pourrait décrire le système des gomé sans prêter attention à la fois aux idées générales que les Dorzé ont sur les gomé et à leurs idées sur les cas spécifiques dans lesquels ils sont individuellement impliqués d’une manière ou d’une autre.
Jusqu’à récemment, on n’avait aucune idée de la façon dont on pouvait naturaliser les représentations. Soyons plus précis. Les représentations ont des propriétés matérielles et des propriétés abstraites. Du point de vue matériel, les représentations publiques telles que les énoncés ou les gestes symboliques peuvent consister en marques sur du papier, en mouvements corporels, ou en toute autre sorte d’objet dans l’environnement que les humains peuvent produire et percevoir. Le caractère matériel de ces représentations ne fait pas particulièrement problème et ne pose aucun défi sérieux à une approche naturaliste. Les représentations mentales telles que les souvenirs ou les désirs sont des agencements neuronaux dans le cerveau. Les récents développements de la neurologie permettent d’étudier le caractère matériel des représentations mentales en termes scientifiques. La difficulté la plus sérieuse à laquelle est confrontée toute tentative de naturalisation des représentations tient à leurs propriétés abstraites. Les représentations, qu’elles soient mentales ou publiques, ont un contenu, ce qui est une propriété abstraite. En outre c’est bien plus par leur contenu que par leurs propriétés matérielles que nous tendons à les identifier. Par exemple, nous pouvons fort bien parler de l’histoire de Boucle d’or et les trois ours sans nous référer à ses différentes réalisations matérielles, dans la parole, l’écriture ou l’activation neuronale. En outre, nous n’aurions guère de raisons de parler de ces réalisations matérielles publiques ou mentales si nous ne les identifions pas d’abord et avant tout comme porteuses du contenu de Boucle d’or.
Comment la propriété abstraite qu’est le contenu peut-elle être réalisée dans le monde matériel ? Comment peut-on réconcilier le fait que des propriétés abstraites ne confèrent aucun pouvoir causal avec le fait que le contenu d’une représentation peut avoir une grande pertinence dans l’explication de ses relations causales ? On a beaucoup avancé dans l’examen de ces questions lorsqu’on a compris comment un programme d’ordinateur, qui a aussi des propriétés abstraites de contenu, peut être matériellement réalisé et jouer un rôle causal dans le monde. Avec le développement récent des sciences cognitives – parfois appelé la ” révolution cognitive ” –, on peut, pour la première fois, s’attaquer de manière réaliste à la naturalisation des représentations. Nous commençons à comprendre comment des processus matériels réalisent de façon systématique des relations de contenu, et ont des effets qui sont éclairés par ces relations de contenu.
Voici une illustration brève et triviale:
Le 31 octobre, à 19h30, la sonnette sonne chez Mrs. Jones. Celle-ci l’entend, et comprend qu’il y a quelqu’un à la porte. Elle se rappelle que c’est Halloween : enfant, elle adorait recevoir des friandises et maintenant, adulte, elle adore en donner. Elle suppose qu’il doit y avoir des enfants à la porte prêts à crier ” Trick or treats! “, et que, si elle ouvre, elle sera en mesure de leur donner les friandises qu’elle a achetées pour l’occasion. Mrs. Jones décide d’ouvrir la porte et le fait.
Nous avons ici un changement dans l’environnement (la sonnerie), un processus de perception (Mrs Jones entend et reconnaît la sonnette), un processus d’inférence épistémique (elle infère qu’il y a quelqu’un à la porte), la récupération dans la mémoire d’une croyance (c’est Halloween) et d’un désir (donner des friandises aux enfants), un second processus d’inférence épistémique (il doit y avoir des enfants à la porte prêts à crier ” Trick or treats!“), un processus d’inférence pratique (pour satisfaire son désir de donner des friandises, Mrs. Jones doit ouvrir la porte) et la réalisation d’une intention (ouvrir la porte) qui aboutit à un changement de l’environnement (l’ouverture de la porte). Ces événements sont reliés causalement dans une chaîne causale complexe. Il s’agit d’une chaîne causale d’un type particulier, que j’ appelle ” chaîne causale cognitive “. (” CCC ” en raccourci). Ce qui rend cette chaîne causale ” cognitive ” c’est le fait qu’à chaque lien causal correspond une relation sémantique ou une relation de contenu. La perception qu’a Mrs. Jones du tintement de la sonnette représente ce tintement tout en étant en partie causée par lui. Le fait que Mrs. Jones se souvienne que c’est Halloween et de ce qui va donc se passer est semblable, dans son contenu (avec une mise à jour appropriée) à la connaissance dérivée d’expériences précédentes de Halloween, et cette connaissance mémorisée figurant parmi les causes du souvenir présent. Le fait que Mrs. Jones aboutisse à certaines conclusions (soit épistémiques – quelqu’un est à la porte, les enfants sont à la porte prêts à crier ” Trick or treats! “ – ou pratique – allons ouvrir la porte) est à la fois justifié par des prémisses spécifiques et causé en partie par la représentation mentale de ces prémisses (note 1). L’ouverture de la porte satisfait l’intention de Mrs. Jones, tout en étant causée en partie par cette intention.
Des relations sémantiques telles que vérité, satisfaction, justification, ou ressemblance de contenu sont des relations abstraites, et non pas des relations causales. La perception, l’inférence, la remémoration et la réalisation d’une intention sont des processus causaux. On caractérise cependant ces processus en fonction des relations sémantiques abstraites qu’elles tendent à instancier. Quand nous décrivons les processus mentaux comme des processus de perception, d’inférence, de remémoration ou d’intention, nous voulons dire que ces processus tendent à produire des outputs qui entretiennent une relation sémantique caractéristique avec leurs inputs. Une perception qui réussit fournit une représentation qui représente le stimulus même qui l’a provoquée; un processus d’inférence qui réussit fournit une conclusion justifiée par les prémisses qui lui ont servi d’input; une remémoration qui réussit fournit un souvenir semblable à l’information initialement enregistrée; la réalisation réussie d’une intention produit l’état de choses représenté dans l’intention.
La vie mentale est faite de CCC dans lesquelles les liens sont à la fois sémantiques et causaux. S’il en va ainsi, ce n’est pas par hasard : les processus causaux impliqués ont chacun la fonction de réaliser un certain type de relation sémantique (note 2). Même si des matérialistes du passé ont pu postuler qu’on pouvait en principe décrire totalement en termes matériels les aspects causaux de la cognition, ce n’est que récemment que nous sommes devenus capables de décrire réellement les mécanismes matériels qui instancient une relation sémantique abstraite. Quand nous décrivons des CCC, non seulement pouvons-nous prétendre, sur des bases générales, qu’elles ont lieu dans le cerveau et dans les interactions entre le cerveau et son environnement, mais aussi pouvons-nous commencer à décrire, en termes computationnels et neurologiques, le type de processus matériels qui les réalise.
Supposons que les sciences cognitives nous fournissent une conception naturaliste des représentations mentales (ou, tout au moins, une conception en voie de naturalisation) : comment cela nous aidera-t-il à naturaliser la notion – ou les notions – de représentation utilisées en sciences sociales ? Les psychologues nous parlent de représentations mentales individuelles. Les chercheurs en sciences sociales nous parlent de représentations qui, en un sens, sont collectives (peu importe qu’ils utilisent le terme ” représentation ” ou parlent d’idéologies, de croyances, de valeurs, etc., qui sont toutes des types de représentations). On pourrait alors soutenir que ” représentation ” en psychologie, et ” représentation ” en sciences sociales certes partagent la propriété la plus fondamentale des représentations en général, à savoir être au sujet de quelque chose, avoir un ” contenu “, mais que par ailleurs il s’agit d’objets très différents.
Les chaînes causales cognitives sociales
L’histoire de Mrs. Jones, telle que je l’ai racontée jusqu’ici, est typique de la psychologie individuelle : elle concerne tout entière les inputs d’un seul organisme, ses processus internes, ses représentations individuelles, et ses outputs, en particulier ses comportements. Cependant, dans ce cas particulier, la chaîne causale impliquait directement d’autres individus, à commencer par Billy et sa petite sœur Julia :
Billy et Julia suivent le rituel de Halloween qui consiste à aller d’une porte à l’autre dans la rue, avec l’espoir de recevoir des friandises. Quand ils arrivent à la porte de Mrs. Jones, Billy sonne avec l’intention de faire savoir aux occupants de la maison qu’il y a quelqu’un à la porte et d’obtenir qu’ils ouvrent …[insérer ici l’histoire de Mrs. Jones telle que racontée ci-dessus]… Mrs. Jones ouvre la porte. Billy et Julia crient ” Trick or treats! “. Mrs. Jones leur donne des friandises.
Sonner à une porte est un processus de communication. Il a pour fonction, comme tout processus de communication, de provoquer, dans l’esprit du destinataire, la formation d’une représentation semblable en contenu à celle que celui qui communique a en tête (dans ce cas, le contenu est : que le destinataire ouvre à la porte à celui qui y sonne). Remarquez que, dans une telle chaîne causale interindividuelle, les liens interindividuels ne sont pas moins cognitifs (au sens où ils instancient une relation sémantique) que les liens intra-individuels. La communication instancie des relations sémantiques de similarité de contenu non pas à l’intérieur d’un individu, mais entre individus. Quand une CCC s’étend sur plusieurs individus, nous dirons qu’il s’agit d’une ” CCC sociale “. Les CCC sociales peuvent impliquer seulement deux individus, ou plusieurs, ou encore s’étendre indéfiniment dans l’espace et le temps sociaux. Ainsi l’interaction entre Mrs. Jones et les enfants le soir de Halloween n’est-elle qu’un fragment d’une CCC beaucoup plus longue et plus étendue qui relie tous les épisodes particuliers de Halloween les uns aux autres et à l’émergence historique de la pratique.
La communication fournit des exemples paradigmatiques de CCC sociales. Soit un acte communicationnel d’assertion : la CCC sociale passe typiquement d’un événement à l’intérieur d’un communicateur, à un événement dans l’environnement (par exemple la production d’un signal tel qu’un coup de sonnette, ou un énoncé linguistique), puis à un événement mental à l’intérieur du destinataire, et la chaîne s’arrête là. Dans le cas d’une demande, la CCC sociale comprend typiquement un maillon de plus, à savoir un second événement dans l’environnement qui satisfait la demande. Ainsi Mrs. Jones, qui a compris que quelqu’un veut qu’on ouvre la porte, ouvre-t-elle la porte. Aussi bien Billy que Mrs. Jones forment l’intention que la porte soit ouverte. Toutefois, alors que Mrs. Jones est en mesure de réaliser son intention par elle-même et le fait, Billy a besoin, pour atteindre le même objectif, de recruter le concours de Mrs. Jones, ce qu’il fait en communiquant une demande. Quand Mrs. Jones satisfait la demande de Billy, une relation sémantique est instanciée entre l’état mental d’un individu et l’action d’un autre individu. Plus généralement, la satisfaction d’un désir au moyen d’une demande adressée à autrui est une forme majeure de CCC sociale. Cela vaut aussi bien pour une communication très simple comme un coup de sonnette, que pour les échanges complexes qui permettent le déroulement d’une action collective.
Si la communication fournit les cas les plus évidents, des formes d’interaction non communicationnelles, y compris l’imitation et d’autres formes d’émulation, peuvent aussi déterminer des CCC sociales. Considérez un groupe de gens qui marchent pour la première fois depuis un nouveau campement vers un point de repère à quelque distance. Une personne marche en tête, choisissant le meilleur passage à travers la brousse – un processus cognitif – et foulant la végétation et le sol. Les autres suivent en file indienne, chacun contribuant à marquer le chemin. Les jours, les mois et les années suivants, quand des individus empruntent ce chemin, ils contribuent chacun à le maintenir en tant que composante stable et visible du paysage, conduisant les autres, ou eux-mêmes ultérieurement, à l’emprunter à nouveau. Le chemin a commencé à exister en tant qu’effet visible d’une série de microdécisions individuelles (celles de poser le pied ici plutôt que là). Cet effet visible a amené d’autres individus à prendre des microdécisions semblables, ce qui a renforcé l’effet initial.
Le chemin est ainsi devenu la production collective de tous ceux qui l’ont suivi, un élément du paysage socialement partagé, et un input perceptuel étendu dans l’espace guidant les pas de tout nouveau marcheur. Une CCC sociale va ainsi des microdécisions des marcheurs du passé à celles des marcheurs à venir, via les modifications de l’environnement auxquelles chacun contribue. Dans certains cas, il peut y avoir imitation délibérée de la conduite d’un individu par d’autres, comme dans le cas de la file indienne. Un marcheur solitaire peut, lui, choisir de suivre un chemin sans faire attention au fait que, ce faisant, il suit l’exemple d’autrui. Qu’elles soient conscientes ou inconscientes, de telles formes spontanées de reproduction de comportements peuvent déterminer une CCC sociale, et cela sans recourir à la communication proprement dite.
Représentations mentales et productions publiques (parmi lesquelles les représentations publiques)
Les CCC sociales lient les choses mentales et les choses publiques les unes aux autres. Les choses mentales impliquées sont des représentations mentales et des processus mentaux. Ces représentations et ces processus peuvent être la cause de comportements qui modifient l’environnement. Ces modifications peuvent être perçues, et donc servir de stimuli pour d’autres processus cognitifs. Certaines de ces modifications sont perceptibles comme processus, par exemple les mouvements corporels ou les sons de la parole; d’autres sont perceptibles comme états stables de l’environnement, par exemple, la présence de chemins, de constructions, d’outils ou d’écrits. J’appelle ” productions publiques ” aussi bien ces comportements perceptibles que ces effets perceptibles de comportements. Certaines productions publiques, par exemple les énoncés, les signaux ou les images, sont produites afin d’être perçues et de causer des représentations mentales. Il s’agit là de ” représentations publiques ” qui constituent une sous-classe particulièrement importante de productions publiques. Les CCC sociales sont donc caractérisées par une alternance de représentations mentales et de productions publiques (y compris des représentations publiques) le long d’une chaîne causale.
Les trois chaînes d’événements dans l’histoire d’Albazo constituaient chacune un cas de CCC sociale. Dire les choses ainsi n’a pas pour but d’introduire une terminologie nouvelle par goût de la terminologie. Le but est de mettre en évidence un niveau auquel les ingrédients très divers entrant dans une telle chaîne causale – les soucis, les malheurs, la divination, les confessions, les sacrifices, les offrandes, etc. –, se présentent comme une alternance, le long d’une chaîne causale, de productions publiques et de représentations mentales liées à la fois par des relations causales et par des relations de contenu. Les représentations mentales impliquées dans l’histoire d’Albazo étaient des croyances et des désirs, à la fois causés et justifiés par des événements publics, et la plupart des productions publiques étaient, dans ce cas, des représentations publiques, telles que des énoncés et des gestes symboliques, satisfaisant des intentions mentales et causées par ces mêmes intentions.
Dans le diagramme présenté supra, faisant ressortir les différentes sortes de chaînes d’événements liées aux gomé, seuls les événements publics sont mentionnés. Mais les événements publics provoquent d’autres événements publics à travers la médiation d’événements mentaux, qui doivent aussi être pris en considération. Pour illustrer ce point, revenons à la deuxième chaîne d’événements. Lorsque Maté, la femme d’Albazo, a mal à son œil, elle va consulter un voyant. Quels sont les processus psychologiques qui relient cette douleur à la consultation d’un voyant ? Toutes les douleurs de ce type n’aboutissent pas à une telle action. Maté aurait pu faire appel à la médecine traditionnelle, ou attendre que le mal s’en aille. Cependant Bodé, la mère de son mari, avait, quelques jours auparavant, enregistré une petite victoire domestique : quand Albazo avait sacrifié un agneau en action de grâce, les entéromanciens avaient diagnostiqué un gomé provoqué par le fait qu’il avait acheté des vêtements pour sa femme et pas pour sa mère. En allant chez le voyant, Maté s’assure que dans la prochaine action rituelle de son mari, il s’agira d’elle. On peut penser que la capacité de Maté d’anticiper certains effets indirects de ses actions aura joué un rôle décisif dans ses choix.
Quand le voyant a diagnostiqué un ” gomé de miel “, Maté aurait pu interpréter ce diagnostic de plusieurs manières. Elle aurait pu par exemple se demander si elle n’avait pas involontairement souillé du miel ou de l’hydromel. Ou encore elle aurait pu rejeter le diagnostic du voyant en disant qu’elle ne voyait pas à quoi il pouvait bien faire référence. Dans le cas présent, cependant, les mots du voyant l’ont conduite à se rappeler qu’elle avait mangé du miel rituel de son mari. En interprétant le diagnostic du voyant comme faisant référence à un tel événement, Maté convertit la faute dont elle aura à se confesser en une réaffirmation des privilèges de son mari en tant que nouveau chef de la famille. Après la consultation, Maté aurait pu décider tout compte fait de ne pas en tenir compte, ou peut-être d’aller consulter un autre voyant. Pareillement, son mari, Albazo, aurait pu tirer un trait sur toute cette affaire. Chacune de ces microdécisions aurait changé la chaîne des événements. C’est pourquoi on ne peut pas expliquer une telle chaîne simplement en disant qu’elle est conforme à un modèle ou à une norme culturel. Au contraire, le modèle culturel est récurrent – c’est un modèle – parce des facteurs causaux relativement idiosyncrasiques tendent, dans des circonstances très diverses, à converger vers des lignes d’actions semblables.
Plus généralement, à chaque étape dans toute chaîne cognitive sociale, les processus mentaux des individus impliqués peuvent faire pencher la chaîne des événements dans un sens ou dans un autre. Ces processus mentaux présentent des régularités transindividuelles. Certaines de ces régularités tiennent à des dispositions cognitives et émotionnelles fondamentales, faisant partie de la constitution psychologique des êtres humains telle qu’elle résulte de l’évolution biologique. D’autres régularités dépendent de circonstances historiques et locales. Le but de l’anthropologue n’est pas d’expliquer les cas individuels, mais les phénomènes récurrents. Cependant, comme je l’ai dit, pour expliquer ces phénomènes récurrents, il faut prêter attention aux facteurs psychologiques qui affectent les cas individuels.
Les chaînes causales cognitives culturelles
La plupart des CCC sociales sont courtes. Elles ne produisent que des transferts d’information, des coordinations de conduites, ou des déplacements de matière tels que des transferts de biens étroitement localisés dans le temps et dans l’espace. Il s’agit d’épisodes tels que les trois chaînes d’événements dans la famille d’Albazo que j’ai décrites. Bien qu’elles soient causalement reliées les unes aux autres, chacune de ces CCC sociales a son contenu propre. Toutefois, certaines CCC sociales sont longues et durables, impliquent un grand nombre d’individus dans le temps, et ne manifestent pas de discontinuité de contenu. L’épisode de Halloween que j’ai évoquée était un fragment typique d’une telle chaîne étendue. Ces chaînes sociales longues et durables ont pour effet de stabiliser des représentations mentales et des productions publiques dans une population et son environnement. Les représentations mentales et les productions publiques (pratiques ou artefacts) qui sont stabilisées par de telles chaînes sociales étendues correspondent à ce que nous appelons ” culturel “. Je propose d’appeler ” chaînes causales cognitives culturelles ” (CCCC) les chaînes cognitives sociales qui stabilisent ainsi les représentations et les productions culturelles.
Table 1: Trois types de chaîne causale
Chaîne causale cognitive (CCC)
Une chaîne causale dont chaque lien causal instancie une relation sémantique
Chaîne causale cognitive sociale (CCC sociale)
Une CCC qui s’étend sur plusieurs individus
Chaîne causale cognitive culturelle (CCCC)
Une CCC sociale qui stabilise des représentations mentales et des productions publiques dans une population et son environnement
Pour illustrer en quel sens les représentations ou les pratiques sont ” stabilisées “, prenons le cas d’un conte populaire tel que Boucle d’or et les trois ours, et considérons-le à l’époque où il n’était transmis qu’oralement. Chaque narration du conte contribuait à le faire connaître aux auditeurs, à leur donner l’envie de l’entendre une nouvelle fois, et pouvait les inciter à le raconter à leur tour. S’il n’en avait pas été ainsi, le conte n’aurait pas survécu comme représentation culturelle stable, puisqu’il n’a été stabilisé que par les CCCC qui ont lié ses narrations (des productions publiques, et plus spécifiquement, des représentations publiques) à la connaissance qu’en ont les individus et à leur désir de le raconter à leur tour (des représentations mentales).
L’existence des CCCC et leurs effets stabilisants sont parmi les aspects les plus évidents de la vie sociale des humains, mais il n’est pas si facile de les expliquer. La mémoire humaine, l’imitation et la communication ne sont pas de vrais mécanismes de duplication. Leurs outputs sont rarement, peut-être même jamais, identiques à leurs inputs. Même s’il n’y a que peu de changements – et, en fait, il y en a souvent beaucoup – entre, disons, l’histoire racontée et l’histoire comprise, entre l’histoire comprise et l’histoire telle qu’on se la rappelle plus tard, entre l’histoire telle qu’on se la rappelle et l’histoire que l’on raconte à son tour, l’effet cumulatif de ces changements dans une CCC sociale étendue peut être tel que les contenus se dégradent rapidement ou se transforment jusqu’à ne plus être reconnaissables. C’est d’ailleurs bien ce arrive à la plupart des histoires qu’on raconte. Par exemple,
Carole raconte à Bob comment elle s’est fâchée au supermarché. Bob raconte à Ted comment Carole s’est rendue ridicule au supermarché. Quelques temps plus tard, Ted mélange cette histoire à une autre qu’il a entendue à propos de Carole à la bibliothèque, l’embellit et la raconte à Alice, qui n’en croit pas un mot, et finit par simplement se rappeler que Ted accuse les femmes de se conduire de façon absurde dans les grands magasins.
La plupart des CCC sociales ressemblent à ces interactions entre Bob, Carole, Ted et Alice ; elles ne s’étendent pas très loin et ne se stabilisent que très peu.
Seules quelques représentations mentales telles que celles qui sous-tendent les contes populaires par exemple, ou quelques productions publiques telles que les sacrifices rituels, manifestent une grande résistance et sont stabilisées par des CCCC. Autrement dit, elles demeurent semblables aux représentations et aux productions précédentes dans la chaîne, et cette ressemblance peut être reconnue. La ressemblance perceptible est une affaire de degré. Il n’y a pas de frontière réelle, par conséquent, entre des représentations telles que le conte de Boucle d’or d’un côté, dont le caractère culturel ne fait pas de doute, et des histoires apparemment idiosyncrasiques, telle celle racontée par Carole à Bob sur ses déboires au supermarché. Même cette dernière est semblable, en sa substance, à tant d’autres histoires. En la racontant, Carole s’est appuyée non seulement sur son souvenir de l’événement, mais aussi sur son souvenir d’histoires semblables qu’elle avait entendues. En la racontant à son tour, Bob, puis Ted, l’ont transformée, non pas au hasard, mais dans le sens d’un cliché culturel qu’Alice a facilement reconnu pour ce qu’il était. Aucune CCC sociale n’est jamais déconnectée des CCC culturelles ; toutes les CCC sociales courtes et locales sont plutôt des branches latérales d’une ou de plusieurs CCCC, et ces branches latérales peuvent contribuer à faire perdurer ces CCCC elles-mêmes.
Pour mieux illustrer ce dernier point, revenons à l’histoire d’Albazo. Les trois chaînes d’événements que j’ai décrites étaient clairement des versions idiosyncrasiques de modèles bien établis, des morceaux de chaîne liés aux CCCC qui forment la trame de la vie sociale des Dorzé. Quand, par exemple, Albazo a décidé de sacrifier un agneau pour la fête du Maskal, sa décision et son action ont été clairement liées, à la fois causalement et dans leur contenu, à d’innombrables décisions et actions semblables d’autres chefs de maisonnée dorzé (en particulier le père même d’Albazo) dans le passé. De même, en montrant les entrailles de l’agneau aux entéromanciens du voisinage, Albazo reproduisait d’innombrables actions passées de chefs de maisonnée dorzé. Ou encore, en s’excusant auprès de sa mère d’avoir acheté des vêtements pour sa femme et pas pour elle, Albazo tenait certes compte des particularités de la situation, mais, néanmoins, sa conduite était d’une conformité manifeste à la conduite de beaucoup d’autres Dorzé.
Les devins eux-mêmes, quand ils ont ” lu ” dans les entrailles, ont produit une version de diagnostics passés ajustée aux particularités de la situation. Leurs processus de pensée et leurs diagnostics se trouvaient au point de croisement de deux CCC sociales : la chaîne sociale courte déclenchée par le sacrifice d’Albazo à l’occasion de la fête de Maskal, et la chaîne longue qui stabilise le type particulier de gomé qu’ils ont diagnostiqué.
Il faut souligner ici un point qui est d’une très grande pertinence pour expliquer la permanence et le changement culturels. Il etait très improbable que les devins fassent fi des CCCC disponibles et produisent un diagnostic vraiment nouveau – un nouveau type de transgression par exemple – qui aurait pu être contesté par Albazo ou d’autres experts rituels. Cependant, le répertoire des types de diagnostics parmi lesquels ils pouvaient choisir était large. Chaque type particulier est maintenu par une chaîne culturelle spécifique. En choisissant un diagnostic particulier, les devins contribuent à la persistance d’une de ces chaînes culturelles. Chaque fois un type de diagnostic est retenu, il gagne en visibilité et accroît sa probabilité d’être pris en considération dans des occasions futures. Si un type particulier de diagnostic devient de plus en plus populaire chez les entéromanciens, son importance culturelle va croître, comme le fera la probabilité que soient différenciées des sous-variétés de ce diagnostic, ce qui conduira à la division de la CCCC sous-jacente en plusieurs nouvelles CCCC. D’un autre côté, si un type de diagnostic se trouve de moins en moins reproduit, sa CCCC aura de moins en moins de résilience et risquera même de disparaître.
L’évolution du système des gomé est ainsi déterminée, dans une large mesure, par les processus mentaux et les interactions qui, à chaque occasion particulière, font pencher le diagnostic des devins d’un côté ou de l’autre. Parmi les facteurs qui orientent leurs préférences, je voudrais en mentionner deux : les réactions de ceux qui les consultent et l’état des entrailles. Les consultants accueillent plus ou moins bien les diagnostics qui leur sont proposés. Ils peuvent, comme Albazo avec les entéromanciens, ou Maté avec le voyant, reconnaître sans difficulté qu’ils ont commis une transgression du type mentionné. En donnant consistance au diagnostic des devins, ils influent sur la manière dont ceux-ci comprennent eux-mêmes et illustrent mentalement leurs propres diagnostics dont la formulation est quelque peu cryptique, comme dans ” gomé de l’insulte de la mère ” ou ” gomé de miel “. Celui qui consulte un devin peut aussi être critique, ou même ne pas croire au diagnostic. Les devins qui produisent des diagnostics qui ne sont pas convaincants peuvent réajuster leurs interprétations, sinon ils risquent d’être moins consultés dans l’avenir, et donc de jouer un rôle moins important dans la transmission culturelle.
Les devins qui pratiquent l’entéromancie sont aussi contraints, dans leurs diagnostics, par l’état des entrailles qu’on leur demande de lire. Après tout, il y a des règles d’interprétation. Des formes différentes des entrailles, des taches différentes et des anomalies différentes ont des interprétations plus ou moins standards. Les particularités que les entrailles peuvent présenter ont des fréquences différentes, sur lesquelles les sacrificateurs et les entéromanciens n’ont aucun contrôle. Cependant, les règles d’interprétation sont elles-mêmes des représentations culturelles, maintenues par leurs propres CCCC. Il est vraisemblable que, sans qu’ils en soient conscients, les préférences interprétatives des entéromanciens déterminent l’évolution de ces règles d’interprétation. Imaginons qu’à un moment donné le gonflement d’une certaine glande dans les entrailles soit considéré comme indiquant un type de gomé que les devins sont de moins en moins enclins à diagnostiquer, et que ce gonflement soit relativement fréquent ; il est probable que, à travers une série de microdécisions, l’interprétation de ce gonflement se transformera. Vu sa fréquence, ce gonflement sera progressivement interprété comme indiquant un type privilégié de gomé.
J’ai introduit l’exemple des Dorzé en opposant les sociétés qui privilégient les explications du malheur en termes de sorcellerie, à celles, comme les Dorzé au moment de mon séjour parmi eux, qui recourent presque exclusivement à des explications en termes de transgression et de sanction. La place relative donnée à ces deux types d’explication résulte d’une série de microdécisions et de microcomportements appartenant à des chaînes causales culturelles. Les Dorzé reconnaissaient différentes formes d’agression mystique – bitha ou ” sorcellerie ” en particulier – comme des sources possibles du malheur. En fait, les agressions mystiques étaient très rarement invoquées. Elles n’étaient jamais diagnostiquées par les entéromanciens et rarement par les voyants. Après la révolution de 1974 en Éthiopie, où l’empereur Hailé Selassié a été renversé et remplacé par des dirigeants marxistes, les aînés des communautés Dorzé – y compris la plupart des entéromanciens – ont souvent été dénoncés comme des ” bourgeois “. Plusieurs des règles dont la transgression était considérée comme gomé furent dénoncées comme ” réactionnaires “. Ce fut en particulier le cas des règles qui concernaient le statut des aînés ainsi que leurs prérogatives rituelles. Or ce sont des transgressions ayant trait à ces règles qui sont typiquement ” lues ” dans les entrailles : l’agencement des vaisseaux sanguins est interprété comme un arbre généalogique indiquant des relations d’aînesse et leurs possibles perturbations. Les changements politiques ont contribué à rendre l’entéromancie moins attrayante que d’autres formes de divination ; les gens sont devenus moins disposés à accepter les diagnostics impliquant le statut d’aîné ; les devins ont eu tendance à préférer diagnostiquer d’autres sortes de gomé (concernant, par exemple, la nourriture, le sexe, ou la possession), et à accroître la fréquence des diagnostics en termes de bitha, ou sorcellerie. Quoique la nouvelle idéologie ait été aussi hostile aux idées de bitha qu’aux idées de gomé, les unes et les autres étant dénoncées comme superstitions, sa propagation a eu, en fait, pour effet de favoriser les explications du malheur en termes d’agression mystique, plutôt qu’en termes de transgression de tabous.
Plus généralement, l’existence dans les sociétés humaines, pour expliquer le malheur, de différentes répartitions entre la sorcellerie et le tabou est l’effet cumulatif de microprocessus, les uns mentaux, les autres publics, situés sur les chaînes causales de la culture. Une des tâches de l’ethnographie est de décrire les facteurs qui, localement, stabilisent ou modifient cette répartition dans un sens ou un autre. Une anthropologie naturaliste doit, elle, identifier les types de facteurs qui peuvent être impliqués dans une telle stabilisation ou dans de tels changements, et expliquer comment ces facteurs agissent dans la tête et dans l’environnement des personnes concernées.
Conclusion
Les CCC sociales ne sont pas un aspect du social. Elles sont le social. Les choses sont sociales dans la mesure où elles sont insérées dans des chaînes causales cognitives trans-individuelles. Les CCCC ne sont pas un aspect du culturel. Elles sont le culturel. Les choses sociales sont culturelles dans la mesure où elles sont insérées dans des chaînes causales cognitives culturelles. Je ne connais pas de contre-exemple à ces affirmations. Au contraire, je crois qu’elles fournissent une manière fine de démêler ce qui est social et ce qui ne l’est pas, et dans le social ce qui est culturel et ce qui ne l’est pas.
Les anthropologues et, plus généralement, les chercheurs en sciences sociales seront sans doute moins préoccupés par des problèmes d’analyse conceptuelle, et davantage par des questions de substance, en particulier par la place donnée ici aux choses mentales dans une épidémiologie des représentations. Ils trouveront peut-être que je donne beaucoup trop d’importance aux représentations et à la cognition dans la caractérisation du social et du culturel, ou pire, que je réduis le social et le culturel au mental. L’agriculture et la guerre ne sont-elles pas des exemples paradigmatiques de choses sociales ? Les artefacts et les manifestations publiques ne sont-ils pas des exemples paradigmatiques de choses culturelles ? Pourtant, même si on ne nie pas leur dimension cognitive, ces phénomènes ne sont pas principalement des choses mentales, et leur importance tient d’abord et avant tout à leurs effets sur la vie corporelle des gens – et pas uniquement sur leurs représentations mentales. J’en conviens tout à fait, et si l’on devait voir là une objection à l’approche naturaliste que je préconise, je me serais fait bien mal comprendre.
Soyons clair. Bien des choses peuvent être prises dans un réseau de CCC sociales, pas seulement des représentations mentales ou publiques, mais aussi d’autres productions publiques telles que des chemins, des immeubles, des récoltes, des marchés, des machines et des massacres. Tout ce qui est pris dans une CCC sociale a des causes et des effets internes ou psychologiques et des causes et des effets externes ou environnementaux. Lesquels de ces causes et de ces effets ont le plus d’importance dépend des cas spécifiques et des points de vue. Dans le cas des chaînes d’événements liées au gomé tels que celles qui ont eu lieu dans la maisonnée d’Albazo, une grande partie du poids explicatif est du côté psychologique, même si, de façon caractéristique, de telles chaînes d’événements sont déclenchées par des événements ou des états de choses non psychologiques tels qu’une maladie ou une mauvaise récolte. Dans le cas d’un chemin, la psychologie est plutôt triviale et l’écologie joue un rôle explicatif plus grand. Après tout, en l’absence d’un entretien délibéré des chemins, leur stabilité dans une communauté dépend du rapport entre la croissance de la végétation et l’érosion d’un côté, et l’intensité de leur usage de l’autre.
L’approche épidémiologique doit, dans tous les cas, combiner une perspective environnementale et une perspective psychologique, et elle n’est pas obligée – ni empêchée non plus – de privilégier l’une ou l’autre de ces deux perspectives.
Pourquoi alors caractériser les chaînes causales sociales et culturelles sur la base de leurs maillons psychologiques plutôt que de leurs maillons environnementaux ? Je voudrais d’abord souligner que les liens psychologiques sont eux-mêmes une sous-catégorie des liens environnementaux. Ce sont des liens situés dans les cerveaux et les corps, qui font eux-mêmes partie de l’environnement. Aussi reconnaître une place spéciale aux liens psychologiques dans une CCC sociale revient-il à mettre en avant un type de facteur écologique. Ce qui justifie que l’on définisse les CCC sociales à partir de leurs liens psychologiques c’est que les autres liens dans une chaîne causale cognitive sociale, les liens environnementaux, peuvent être indéfiniment variés : sons de la parole, coups de fusil, images, chemins, danses, nourritures, vêtements, machines, etc. Aucune sous-catégorie de ces liens environnementaux n’est nécessaire ni suffisante pour que la chaîne causale dans laquelle ils se produisent soit une chaîne sociale. Ce qui rend sociale une chaîne causale c’est le fait d’établir un lien cognitif entre différents esprits individuels. Ce qui rend culturelle une chaîne sociale c’est la stabilisation de représentations. Il ne s’ensuit pas, cependant, que les ingrédients psychologiques du social sont plus ” intéressants ” que les ingrédients non psychologiques. L’intérêt est une affaire pragmatique.
Certains anthropologues pourraient trouver qu’il y a quelque arbitraire à distinguer le social et le culturel et à les reconnaître comme des objets d’étude dignes d’attention l’un et l’autre. Ils pourraient soutenir que tout ce qui est social est aussi culturel, et réciproquement. Ceci est évidemment vrai dans le cas humain. Mais, de ce point de vue, les humains diffèrent beaucoup d’autres animaux sociaux. La plupart des animaux sociaux transmettent seulement de l’information au sujet de ce qui se passe ici et maintenant (par exemple : attention, il y a un prédateur !). Quels que soient le savoir et le savoir-faire partagés durablement par les membres de ces populations animales, ils sont dus à des dispositions biologiques semblables exprimées dans le même environnement, plutôt qu’à leurs interactions mutuelles continues. En d’autres termes, les chaînes causales cognitives sociales de la plupart des animaux sociaux ne stabilisent ni connaissances communes ni savoir-faire partagé ; elles ne sont pas des CCCC. Il y a cependant des exceptions fascinantes, des exemples de pratiques (et par conséquent de représentations mentales qui les rendent possibles) qui se répandent par imitation et se stabilisent dans des populations animales non humaines. On connaît bien par exemple aujourd’hui différentes techniques de récolte des termites, socialement transmises dans des populations de chimpanzés (McGrew, 1992). Ces techniques sont, en d’autres termes, transmises à travers des CCCC. Elles sont culturelles. Cependant, même chez ces animaux non humains qui manifestent un certain degré de transmission culturelle, la plupart des activités, qu’elles soient individuelles ou sociales, sont libres de toute influence culturelle.
Dans le cas de l’homme, et dans ce cas seulement, la culture englobe tout. Toutes les CCC sociales exploitent des représentations transmises culturellement, même quand elles ne les propagent pas directement. Les domaines du social et du culturel sont, en effet, coextensifs. En ce sens extensionnel, il n’y a aucune différence entre les choses sociales et les choses culturelles. Cependant, le social et le culturel sont deux propriétés différentes. Un phénomène est social dans la mesure où il implique une coordination cognitivement médiatisée entre individus. Un phénomène est culturel dans la mesure où il implique la stabilisation de représentations ou de productions au moyen d’une coordination cognitivement médiatisée entre individus.
On peut s’intéresser plus aux aspects sociaux ou plus aux aspects culturels de phénomènes qui sont inévitablement à la fois sociaux et culturels. En d’autres termes, on peut être plus intéressé à répondre à la question : ” Comment les êtres humains se coordonnent-ils ? ” qu’à la question : ” Comment les représentations et les productions se stabilisent-elles ? “, ou l’inverse, mais le domaine des faits pertinents pour répondre aux deux questions est le même. J’ai tenté de suggérer qu’une réponse naturaliste peut être apportée à ces deux questions. Pour cela, il faut reconceptualiser le domaine du social en n’y reconnaissant que des entités et des processus dont nous avons une compréhension naturaliste. Il s’agira de représentations mentales et de productions publiques, des processus qui les lient causalement, de CCC sociales, en particulier culturelles, qui associent ces liens, et des réseaux complexes de ces chaînes causales qui parcourent en tous sens les populations humaines dans le temps et l’espace. En partant d’une ontologie ainsi réduite, le projet de Radcliffe-Brown d’une science naturelle de la société pourrait ne pas être entièrement utopique, même s’il ne correspondra sans doute guère à l’idée que lui-même s’en faisait.
Bibliographie
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1996 La Contagion des idées: Théorie naturaliste de la culture. Paris, Odile Jacob.
Notes
* Cet article est la traduction par Louis Quéré d’une conférence faite en 1999 à la Royal Academy à Londres (Radcliffe-Brown Lecture in Social Anthropology).
(1) Comme je ne décris jamais la cause complète d’un événement, quand je dis ” causé ” il faudra désormais comprendre ” causé en partie “.
(2) Un certain nombre de philosophes – Fred Dretske, Ruth Millikan, Karen Neander, David Papineau, par exemple –, ont tenté de naturaliser le sens en faisant appel à une notion de fonction. Bien qu’aucune solution définitive ne s’impose, je considère ces tentatives comme étant manifestement sur la bonne voie. Cf. Jacob, 1997.